10 juillet 2013

Le Joli Mai

Le Joli Mai est bien sûr un film pour nostalgiques : ceux qui ont connu le Paris de cette époque reconnaissent avec émotion les façades noircies d'avant le grand blanchiment.  Merci Malraux !
Quant aux policiers en galoches, qui croirait qu'armés de leur seule pélerine, ils étaient plus redoutables et ont sans doute causé plus de dégâts que les CRS d'aujourd'hui derrière leurs boucliers.

Mais le Joli Mai  n'est pas seulement un film nostalgique. C'est avant tout un film édifiant : que d'illusions aujourd'hui battues en brèche.
La technique, le progrès devaient améliorer nos conditions de vie et l'automatisation permettre de ne plus travailler que 20 heures par semaine ! C'est en tout cas ce qu'affirment avec conviction (et, m'a-t-il semblé, un peu de morgue) trois jeunes ingénieurs-conseils pendant que d'un haussement d'épaule une jeune dinde récuse l'intérêt du  droit de vote pour les femmes : "pour quoi faire ? ".

Il y a dans ce film mille raisons de s'indigner, de s'offusquer, de s'étonner surtout. Les "événements" d'Algérie, ? pas de quoi s'en émouvoir ! Les morts de Charonne ? on les enterre dans le silence, un silence impressionnant d'ailleurs. Mais ce qui surprend finalement, c'est justement ce silence, cette absence de commentaires sur la vie politique, comme si les gens avaient peur de parler.
Il est vrai que notre époque croule sous les commentaires, twittés avant même d'être réfléchis, sous  les vidéos captées à partir d'un téléphone portable et diffusées sans le moindre recul. L'écart entre les comportements, à cinquante ans d'écart est certes révélateurs des blocages d'une société, celle de 1962; mais il est aussi révélateur des dysfonctionnements de notre propre société.

Construit sur des interviews, le film se présente comme une série de portraits, comme autant d'échantillons d'une société pris en un lieu et à un moment donné. Il y a le commerçant du sentier, la mère de famille et ses 9 enfants, le jeune couple amoureux à la veille d'un départ vers l'Algérie, le syndicaliste, les trois filles de famille bougeoise, le jeune maghrébin... C'est souvent drôle, parfois émouvant.


Et puis il y a la griffe Marker - ou celle de son chef-opérateur - avec des images suprenantes de beauté , un sens du cadrage, un dosage des gris qui rapellent que Chris Marker est avant tout un artiste. 



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